Par Régis Ollivier – Le 20 janvier 2025

Illustration chatgpt pour lecolonel.net
Dans la Rome antique, les empereurs avaient un outil redoutable pour maintenir l’ordre et la paix sociale : le fameux Panem et Circenses – « du pain et des jeux ». Avec ces deux éléments, ils s’assuraient la fidélité d’un peuple distrait par le spectacle, trop occupé à applaudir les gladiateurs pour se préoccuper des injustices sociales ou des ambitions politiques de leurs dirigeants.
Deux millénaires plus tard, nous pourrions croire que ce mécanisme appartient au passé. Et pourtant, le Panem et Circenses moderne est bien vivant. Aujourd’hui, il s’appelle TikTok, Instagram, ou encore YouTube. Ces plateformes ne distribuent ni pain ni arènes, mais des contenus courts, addictifs, et personnalisés, conçus pour saturer nos esprits et détourner notre attention des véritables enjeux de nos sociétés.
Un outil de distraction massive
À l’époque romaine, les jeux n’étaient pas qu’un divertissement. Ils servaient un objectif précis : neutraliser les frustrations du peuple en les absorbant dans des plaisirs immédiats. Le schéma est similaire aujourd’hui. Les réseaux sociaux nous inondent d’images parfaites, de danses virales et de vidéos drôles ou absurdes, remplissant chaque instant de vide par une illusion d’abondance.
Mais quel en est le prix ? Cette attention fragmentée, monopolisée par les écrans, nous empêche de réfléchir, de remettre en question, et parfois même d’agir. Au lieu de nous révolter contre les injustices ou de chercher des solutions aux crises que nous traversons, nous glissons d’un contenu à l’autre, insatiables.
Selon une étude récente, les adolescents français passent en moyenne 8 heures et 30 minutes par jour devant les écrans. Cela représente une part écrasante de leur temps d’éveil, absorbée par des contenus conçus pour capter leur attention sans relâche.
À titre de comparaison, cela équivaut à une journée de travail complète, mais consacrée à scroller, liker, et consommer des vidéos virales. Cette surexposition, bien qu’omniprésente, n’est pas anodine : elle isole, fragilise, et détourne des engagements essentiels, tant individuels que collectifs.
L’hystérie face à l’interdiction de TikTok : une arène moderne
Prenons l’exemple des États-Unis, où l’interdiction de TikTok a suscité une véritable panique chez de nombreux jeunes. Comme si l’on avait fermé les portes du Colisée moderne, ces utilisateurs se sont sentis soudain privés de leur opium. Cette réaction en dit long sur le rôle des réseaux sociaux dans nos vies : ils ne sont plus seulement une distraction, mais une échappatoire essentielle, une identité sociale, un rituel collectif.
Imaginez la France privée soudainement d’Instagram ou de Snapchat. Aurions-nous la même réaction ? Il est à craindre que oui. Ces outils, sous couvert de connexion et de divertissement, agissent comme des chaînes invisibles. Ils nous donnent l’illusion de choisir, mais en réalité, nous consommons ce que l’algorithme décide pour nous.
Les vrais enjeux derrière le spectacle
Si le Panem et Circenses antique détournait le peuple des problèmes de gouvernance ou des inégalités sociales, les réseaux sociaux modernes remplissent une fonction similaire. Pendant que nous scrollons sans fin, les véritables enjeux – climatiques, économiques, politiques – continuent de s’aggraver. Les réseaux deviennent alors un instrument de contrôle passif, non pas par conspiration, mais par simple effet de leur conception.
Cette dépendance collective nous éloigne de notre rôle de citoyens. Comment pouvons-nous agir face à des défis majeurs si nous sommes captivés par des contenus éphémères ? Ce qui est inquiétant, ce n’est pas que nous utilisions ces plateformes, mais qu’elles aient le pouvoir de nous utiliser, nous détournant des responsabilités et des engagements réels.
Reprendre le contrôle : redevenir acteur
Alors, que faire ? Il ne s’agit pas de rejeter les réseaux sociaux en bloc. Ils peuvent être de formidables outils de communication et de partage. Mais nous devons apprendre à les utiliser, plutôt que de les laisser nous consommer. Reprendre le contrôle de notre temps, cultiver des interactions réelles, et nous reconnecter à l’essentiel : voilà les premières étapes pour briser le cycle du Panem et Circenses.
Rome a sombré malgré ses jeux grandioses. Si nous ne prenons pas garde, nos sociétés pourraient suivre le même chemin, noyées dans un flot infini de distractions
Conclusion
Les adolescents passent en moyenne 8 heures et 30 minutes par jour devant les écrans. Une journée entière, dédiée non pas à construire, à apprendre ou à échanger réellement, mais à consommer des contenus dictés par des algorithmes. Ce constat dépasse les simples chiffres : il illustre une nouvelle réalité où les écrans deviennent le Panem et Circenses du XXIᵉ siècle.
Mais à quel prix ? La passivité qui découle de cette dépendance collective nous éloigne de nos responsabilités, de nos ambitions, et surtout de notre rôle de citoyens. Nous sommes à un carrefour : continuer à laisser ces plateformes nous utiliser, ou choisir de les dominer. C’est là une question essentielle, qui dépasse les générations et les frontières.
Rome est tombée malgré ses jeux grandioses. À nous de ne pas sombrer à notre tour, noyés dans l’océan infini des distractions numériques
Note actualisée : Donald Trump prévoit de signer, dès son investiture, le 20 janvier 2025, un décret suspendant temporairement l’interdiction de TikTok aux États-Unis. Cette mesure, adoptée par le Congrès en 2024, impose que 50 % de la branche américaine de TikTok appartienne à des entreprises américaines, dans le but de limiter les risques liés à la collecte de données par ByteDance, sa maison-mère chinoise. Cette décision illustre l’enjeu stratégique des réseaux sociaux dans les tensions géopolitiques actuelles.
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