Par Régis Ollivier – Le 21 janvier 2025

Illustration chatgpt pour lecolonel.net
Depuis des décennies, la France s’est distinguée par sa capacité à rester indépendante dans un monde de plus en plus interconnecté. Pourtant, à l’heure où l’intégration européenne s’accélère, une question cruciale se pose : notre souveraineté nationale est-elle toujours une priorité ? Les récents discours appelant à une “préférence européenne” et à des “nations souveraines en Europe” traduisent une tension inquiétante entre deux objectifs en apparence incompatibles.
D’un côté, on affirme vouloir préserver l’indépendance stratégique de la France. De l’autre, on se dit prêt à “mutualiser” ou “européaniser” des éléments clés de notre autonomie, comme nos capacités militaires ou, pire, notre dissuasion nucléaire. Ce double discours n’est pas seulement incohérent : il est dangereux.
Un héritage gaullien trahi ?
Le général de Gaulle, artisan de notre dissuasion nucléaire et farouche défenseur de l’indépendance nationale, a toujours rejeté l’idée que la France puisse se soumettre à une puissance ou à une organisation supranationale. Dans sa vision, la souveraineté ne se partage pas : elle se protège. C’est pourquoi la France a développé sa propre force de frappe, libre de toute tutelle étrangère, y compris celle des États-Unis au sein de l’OTAN.
Dans les années 1960, de Gaulle a eu l’audace de retirer la France du commandement intégré de l’OTAN, affirmant ainsi sa vision d’une indépendance stratégique totale. Ce geste historique a marqué la volonté de la France de ne pas être réduite au rôle d’un simple exécutant des décisions de Washington. Pourtant, aujourd’hui, cet héritage est mis à mal. Les appels à une “défense européenne” et à une “préférence européenne” sonnent comme un renoncement progressif à cette indépendance chèrement acquise.
Si la France devait un jour accepter que sa dissuasion nucléaire soit placée sous un “pavillon européen”, ce serait la fin d’une époque. Une France réduite à un rôle de “fournisseur stratégique” pour l’Union européenne ne serait plus une puissance, mais une nation parmi d’autres, alignée sur des intérêts qui ne sont pas toujours les siens.
Le spectre de l’OTAN et l’ère Trump : une leçon pour l’Europe ?
L’OTAN est censée garantir la sécurité collective de ses membres. Pourtant, l’élection de Donald Trump a révélé les fragilités de cette alliance. En remettant en question l’engagement des États-Unis envers leurs alliés européens, Trump a jeté un pavé dans la mare. Ses déclarations, exigeant que les Européens “paient leur juste part” ou “prennent leur sécurité en main”, ont mis en lumière une dépendance excessive de l’Europe à l’égard de Washington.
Ce contexte a ravivé les discussions sur la nécessité d’une “défense européenne” autonome. Mais cette idée soulève plusieurs problèmes :
1. Les intérêts divergents des membres de l’UE : Les pays baltes, par exemple, perçoivent la menace russe comme existentielle, tandis que d’autres, comme l’Allemagne, maintiennent des liens économiques forts avec Moscou. Ces divergences rendent toute stratégie commune difficile.
2. Le poids de l’Allemagne : Une défense européenne intégrée placerait de facto l’Allemagne en position dominante, notamment grâce à sa puissance économique. La France risquerait de voir son rôle marginalisé, ce qui irait à l’encontre de son ambition d’être une puissance d’équilibre.
3. Une perte d’autonomie décisionnelle : Avec une défense européenne intégrée, qui déciderait de l’emploi de la dissuasion nucléaire française en cas de crise ? La réponse ne serait plus à Paris, mais dans un consensus laborieux à Bruxelles.
L’expérience Trump nous rappelle une leçon cruciale : les alliances sont des partenariats, pas des dépendances. Et une dépendance européenne croissante pourrait, à terme, mettre la France à la merci des intérêts américains ou allemands.
Les risques d’une dissuasion “européanisée”
La notion même de “souveraineté européenne” est une chimère. Comment parler de souveraineté quand les décisions sont prises à 27, avec des intérêts aussi divergents que ceux de la France, de l’Allemagne ou des pays de l’Est ? La dissuasion nucléaire est un outil ultime, conçu pour défendre des intérêts vitaux. Ces intérêts, par définition, ne peuvent être décidés par des institutions européennes ou par un consensus entre États membres. Le risque est clair : une mutualisation des décisions stratégiques priverait la France de son autonomie et la placerait à la merci d’alliés dont la fiabilité reste incertaine.
Prenons un exemple concret : en cas de crise entre l’UE et un acteur comme la Russie, comment garantir que la décision d’utiliser la dissuasion nucléaire sera prise dans l’intérêt de la France ? Serait-il acceptable que des pays comme la Hongrie ou la Suède, avec des priorités radicalement différentes, aient leur mot à dire sur une question aussi vitale ?
En réalité, une “dissuasion européenne” n’existerait que de nom. Elle serait, au mieux, un instrument affaibli par des compromis politiques, et, au pire, un outil inutilisable en cas de véritable crise.
La France à la croisée des chemins
La France est aujourd’hui confrontée à un choix crucial : rester fidèle à son héritage d’indépendance stratégique ou céder à la facilité d’une intégration européenne mal maîtrisée. Les discours sur une souveraineté partagée sont séduisants, mais ils masquent une réalité bien plus sombre : celle d’une dilution de notre pouvoir décisionnel, au risque de sacrifier notre autonomie sur l’autel du consensus européen.
Comme le disait le général de Gaulle : “Une nation ne se défend qu’avec elle-même.” Ce principe reste plus que jamais d’actualité. La souveraineté n’est pas un luxe, c’est une nécessité pour garantir notre liberté, notre sécurité et notre place dans le monde.
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Sur un texte original de l’auteur