Défense

PA-NG et “architecture du désastre” : quand l’histoire insiste

Par Régis Ollivier – Le 23 décembre 2025

Illustration lecolonel.net

Au moment où le président Emmanuel Macron annonce à grand renfort de communication le lancement de la construction d’un nouveau porte-avions nucléaire (PA-NG), le site European Security publie un long texte intitulé L’architecture du désastre (1).

Cette concomitance n’est sans doute qu’un hasard du calendrier. Mais elle m’incite à faire un lien entre une période que l’on croit révolue – les années 1930 – et certaines interrogations très contemporaines sur notre manière de penser la défense.

L’auteur y rappelle, en s’appuyant notamment sur la pensée du général de Gaulle, une constante inquiétante de l’histoire stratégique :

la permanence des aveuglements face aux mutations technologiques et stratégiques.

Ce que dit réellement “L’architecture du désastre”

Ce texte ne se limite pas à une relecture de la défaite de 1940. Il nous propose une analyse plus profonde : celle d’un système où la pensée stratégique n’a pas su commander à la matière.

L’erreur n’était pas l’absence de moyens. La France disposait d’une armée nombreuse, d’équipements solides, d’ingénieurs compétents.

L’erreur fut ailleurs :

  • une vision figée de la guerre,
  • une incapacité à intégrer la vitesse, la mobilité, la rupture technologique,
  • un immobilisme intellectuel masqué par une impression de sécurité.

La fameuse ligne Maginot n’était pas seulement un ouvrage militaire. Elle était avant tout une construction mentale.

Le PA-NG : objet stratégique ou réponse réflexe ?

Un porte-avions n’est ni inutile, ni obsolète par nature. Il demeure un outil de projection, de dissuasion conventionnelle et de crédibilité internationale. Mais le débat ne porte pas sur son existence. Il porte sur la place centrale qu’on lui accorde.

Le PA-NG concentre :

  • des moyens financiers considérables (une estimation initiale autour de 10 milliards d’euros),
  • une visibilité maximale,
  • une logique de continuité capacitaire sur plusieurs décennies.

Or les formes contemporaines de la guerre évoluent rapidement :

  • dispersion des moyens,
  • saturation,
  • drones,
  • missiles longue portée,
  • guerre électronique,
  • déni d’accès.

Dans ce contexte, la question n’est pas de savoir si le PA-NG sera techniquement réussi – il le sera – mais s’il correspond pleinement à la nature des conflits qui viennent, et non à ceux que nous savons encore parfaitement décrire.

Un débat stratégique trop discret

Ce choix m’apparaît aujourd’hui comme une décision plus politique que strictement militaire.
Non par caprice, mais par logique institutionnelle :

  • symbole de puissance,
  • lisibilité internationale,
  • continuité industrielle,
  • incarnation présidentielle.

Le Parlement valide, les états-majors exécutent, l’ingénierie excelle.
Mais le débat stratégique de fond – celui de l’équilibre capacitaire, de la dispersion versus la concentration, de la furtivité versus la visibilité – reste largement confiné.

C’est précisément ce que pointe L’architecture du désastre : non pas l’incompétence des acteurs, mais l’insuffisance de la remise en question collective.

Conclusion :

Le porte-avions n’est pas en soi une erreur. Mais le danger serait de croire qu’il suffit à penser la guerre qui vient. À force de privilégier ce qui se voit, ce qui s’annonce, ce qui s’exhibe, nous prenons le risque de confondre puissance affichée et puissance réelle.

Lorsqu’un choix stratégique aussi structurant semble davantage relever d’une décision politique que de l’aboutissement d’un débat militaire pleinement assumé, le doute n’est ni une trahison ni une posture.
Il est un devoir de lucidité.

L’histoire l’a montré à plusieurs reprises : les grandes défaites ne naissent pas du manque de moyens,
mais d’un excès de certitudes.

Article cité :
L’architecture du désastre (1) – European Security
https://european-security.com/larchitecture-du-desastre-1/

Le Colonel vous salue bien

#Défense #Stratégie #PA_NG #GuerreModerne #EuropeanSecurity

Société

Dans un monde dystopique, bien sûr. Enfin… officiellement.

Régis Ollivier – Le 14 décembre 2025

Illustration lecolonel.net

Régis Ollivier – Le 14 décembre 2025

2030. Un virus. Encore un. « Hautement contagieux », disent-ils. Alors on ne soigne plus. On éradique.

Un cas détecté dans une famille. La décision est immédiate. Abattage intégral. Les corps ne quittent pas les lieux. Ils sont brulés sur place. Les maisons aussi. Feu purificateur. Plus de traces. Plus de souvenirs. Plus de preuves. Plus de risques.

Les brigades vertes avancent quartier par quartier. Silencieuses. Méthodiques. Drones thermiques. Listes à jour. Personne ne discute. Les gens fuient à l’aube. La fièvre se cache. La toux devient crime. Un enfant malade condamne toute sa lignée. Les voisins observent derrière les rideaux. Certains filment. D’autres dénoncent. La délation est devenue un devoir civique.

À la télévision, un expert sourit : « Nous appliquons des protocoles éprouvés. Comme pour les bovins ». Vaccinations ou abattage.

Même logique. Même froideur. Mais cette fois, le cheptel, c’est nous.

Quand une société accepte de brûler des humains, des maisons pour se rassurer, elle est déjà prête à brûler ses principes.

La peur n’a jamais sauvé une civilisation. Elle l’a toujours consumée.

Le Colonel vous salue bien. Ceci reste une fiction. Pour combien de temps encore ?

#Dystopie #Société

Armées

La guerre n’est pas un outil de communication : Analyse stratégique après les propos du général Christophe Gomart

Régis Ollivier – Le 24 novembre 2025

Le débat sur la possibilité d’une confrontation entre la France et la Russie s’emballe depuis que certains responsables militaires ou politiques se sont aventurés à prophétiser une guerre d’ici deux ou trois ans. Que ces propos soient formulés par un chef d’état-major ou relayés par le président de la République, ils provoquent un séisme émotionnel dans la société française. On crie au réalisme pour les uns, au catastrophisme pour les autres. Dans ce tumulte, un élément fondamental semble toutefois oublié : la guerre n’est pas un élément de storytelling. C’est une mécanique froide, industrielle, logistique, humaine, qui ne pardonne aucune approximation. Lorsque le général Christophe Gomart dénonce une instrumentalisation politique de la guerre pour détourner l’attention du chaos intérieur, il ne parle pas d’opinion. Il parle d’une réalité qu’il a longtemps pratiquée : l’emploi de la force armée dans le monde réel, celui où des hommes se battent, meurent, et ne reviennent pas.

1. La tentation éternelle : l’ennemi extérieur pour masquer la tempête intérieure

L’histoire regorge d’exemples où un pouvoir exécutif fragilisé utilise l’angoisse extérieure comme dérivatif intérieur. Ce réflexe est vieux comme l’État. Et Le mécanisme est simple :

  • Créer un horizon de menace suffisamment crédible pour mobiliser l’opinion,
  • Reporter le coût politique des fractures sociales et économiques,
  • Déplacer l’attention vers des enjeux géopolitiques sur lesquels le citoyen n’a aucune prise.

Même les démocraties n’y échappent pas.
Le registre moral importe peu : c’est un mécanisme de survie politique.

Qu’Emmanuel Macron s’y adonne ou non n’est pas la question centrale. Ce qui compte, c’est que le simple soupçon de cette stratégie suffit à fragiliser durablement le lien armée-nation. Et cela, aucun président ne devrait l’oublier.

2. La vérité militaire : une armée ne se prépare pas en conférence de presse

Contrairement à ce que certaines tribunes peuvent laisser entendre, la guerre ne se décrète pas par anticipation médiatique. Elle se prépare dans la profondeur :

  • stocks de munitions,
  • capacités industrielles,
  • nation en armes ou nation sous perfusion,
  • alliances,
  • contrôle de l’espace informationnel,
  • endurance logistique.

Ce n’est pas une abstraction. C’est du concret, du quantifiable, du vérifiable.

Or, il suffit de regarder froidement la situation française :

  • Sous-effectifs chroniques dans plusieurs segments,
  • Réserves territoriales insuffisantes en cas de choc prolongé,
  • Industrie de défense lente, fragmentée, dépendante de cycles politiques,
  • Europe atomisée sur la question stratégique,
  • Opinion publique rétive au sacrifice, parce que désorientée et non préparée.

Dans ces conditions, annoncer une guerre dans trois ans n’est pas de la prévision stratégique.
C’est du théâtre.

3. Quand le CEMA devient haut-parleur du politique

Il existe une ligne rouge claire : le militaire conseille, le politique décide.
Et lorsqu’un chef militaire devient la caisse de résonance d’un agenda politique, il sort de son rôle, même si cela se fait par servilité institutionnelle ou par loyauté mal comprise.

Point d’histoire :

  • Le Général De Gaulle ne faisait pas parler les généraux pour justifier ses visions internationales.
    Il assumait, seul, le poids de ses choix.

La France actuelle inverse ce paradigme :

  • le politique externalise la peur,
  • le militaire la verbalise,
  • l’opinion en subit le contrecoup.

Le résultat ?
L’armée perd son statut d’institution tutélaire, neutre, protectrice.
Elle devient un instrument de persuasion intérieure.

C’est une faute stratégique majeure.

4. L’exemple Gomart : du terrain à la lucidité

Que l’on aime ou non Christophe Gomart importe peu.
Il s’inscrit dans une tradition bien française : celle des officiers qui, une fois sortis du commandement, parlent pour tenter de remettre de l’ordre dans la maison.

Gomart ne tire pas à vue sur l’Élysée. Il pose une question fondamentale :

A-t-on le droit d’agiter le spectre d’une guerre quand on n’en a ni les moyens, ni la doctrine, ni le consensus national ?

La réponse est simple : non.

Parce que la guerre n’est pas un instrument d’ingénierie sociale.
Parce qu’elle n’est pas un levier électoral.
Parce qu’elle n’est pas un pansement sur la misère intérieure.

Et parce que les Français ne sont pas dupes.
Ils acceptent l’effort quand ils en comprennent le sens.
Ils refusent la peur quand elle est un outil de diversion.

5. Le rôle de ceux qui savent

J’ai servi 43 ans.
Dans l’armée et dans le renseignement.
J’ai vu des décisions prises sur un coin de table par des hommes qui n’assumeraient jamais la facture humaine.
J’ai vu des forces projetées sans couverture politique.
J’ai vu des mensonges diplomatiques dans lesquels des soldats allaient mourir.
J’ai vu des présidents africains tomber parce qu’ils avaient confondu puissance et spectacle.

S’il y a une règle que tout officier finit par comprendre, la voici :

On ne brandit pas la guerre pour gagner un répit sur le front intérieur.
La guerre se prépare pour être gagnée.
Ou elle ne se prépare pas du tout.

Conclusion

Le général Gomart n’a pas seulement critiqué une communication.
Il a rappelé une vérité dérangeante : la France n’est pas prête pour une guerre haute intensité durable, et personne n’a le droit d’utiliser cette perspective comme un artifice de campagne. On peut débattre des chiffres, des doctrines, des priorités. Mais on ne joue pas avec le feu stratégique, parce que ce sont les gens d’en bas qui brûlent.

La politique a le droit de mentir pour se sauver.
L’armée n’a pas le droit de mentir pour la servir.

Le Colonel vous salue bien

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