Diplomatie

Le vernis le matin, la vérité le soir

Régis Ollivier – Le 05 mars 2025

 

Illustration lecolonel.net

 

Le rituel du matin : l’art du camouflage

Lorsque j’étais en poste à l’étranger, mon épouse, parlant de moi, avait une plaisanterie bien rodée : « Le matin je l’enduis de vernis, mais le soir, le vernis a craqué ! » En effet, chaque matin, avant de prendre mes fonctions de couverture, elle savait mieux que quiconque que mon rôle ne se limitait pas à une simple fonction diplomatique. Entre réceptions officielles, négociations feutrées et échanges codés, mon quotidien en ambassade était une partition où chaque note devait être jouée avec la plus grande précision. Un mot mal placé, un regard trop appuyé, et la musique pouvait changer de ton. Alors, chaque matin, j’enfilais mon costume, ajustais mon langage, mon attitude, et me fondais dans le décor. La diplomatie exige du contrôle, une maîtrise de soi quasi absolue. Un sourire au bon moment, une parole pesée, un silence opportun. Mais ma femme savait aussi que derrière ce masque, le vernis finissait toujours par s’écailler. Pourquoi ? « Chassez le naturel, il revient au galop »

Une posture savamment orchestrée

Dans ces cercles feutrés, tout est question de nuances.

  • Un dîner officiel ? Il faut savoir écouter plus que parler, capter les non-dits et lire entre les lignes.
  • Une discussion avec une personnalité locale ? Ne jamais montrer trop d’intérêt ni trop d’indifférence.
  • Un échange avec un “homologue” qui, comme moi, joue sur deux tableaux ? Chacun sait que l’autre joue un rôle, une partition, mais le ballet continue. Dans ces moments-là, on ne parle pas, on danse. On évolue sur un terrain miné où chaque faux pas peut coûter plus qu’un simple malentendu. Dans ce jeu-là, pas d’amis, uniquement un homologue. Mais une fois la représentation terminée, que reste-t-il de l’homme derrière le masque ?

 

Quand le vernis craque

Le soir venu, en rentrant chez moi, je laissais tomber les apparences.

Loin des regards, je redevenais l’homme derrière le costume.

•    Les tensions de la journée s’évaporaient, parfois dans un soupir, parfois dans un silence lourd.

•    Mon épouse n’avait pas besoin de me poser de questions : elle lisait sur mon visage ce que je ne pouvais dire. Il y a eu des jours où, même à la maison, le vernis collait encore un peu trop. Des jours où l’on ne décroche pas si facilement d’un rôle joué avec trop de conviction. Des jours où l’on reste prisonnier du personnage qu’on incarne. Mais au fond, la vraie liberté, c’est de pouvoir redevenir soi-même une fois les projecteurs éteints.

De l’ambassade à LinkedIn : un jeu toujours d’actualité

Des années plus tard, je me rends compte que cette double posture n’a pas disparu.

Sur LinkedIn, je m’astreins à une certaine réserve, un politiquement correctnécessaire pour durer.

Sur mon blog, c’est une autre histoire. Là, le vernis a craqué avant même d’être appliqué. Ce n’est pas une question d’hypocrisie, mais de stratégie. Tout comme en diplomatie, il faut savoir choisir ses batailles et adapter son langage au terrain. Ceux qui me suivent sur LinkedIn lisent un homme affûté, mesuré, parfois retenu. Parfois… Ceux qui viennent sur mon blog retrouvent le Colonel brut de décoffrage, celui qui n’a plus rien à prouver ni à ménager.

L’authenticité, au-delà du vernis

Alors, suis-je un homme à deux visages ? Un Janus ? Absolument pas. Je suis un homme qui sait que la forme compte autant que le fond. Le vrai moi est là, dans les deux versions. L’un ajuste son discours pour être entendu, l’autre parle sans filtre, parce que l’espace le permet. Et que c’est mon naturel. Peut-être est-ce la grande leçon de ces années passées entre les couloirs feutrés du pouvoir et les terrains plus francs du renseignement : Savoir se fondre dans le décor quand il le faut, mais ne jamais oublier qui l’on est une fois rentré chez soi.

Et vous ? Usez-vous aussi d’un vernis qui craque le soir venu ?

#Diplomatie #Services_secrets #Comportement