Avec l’aimable autorisation de François Vannesson, auteur de ce texte, que je remercie vivement .
Illustration de l’auteur
Le dernier crime maquillé en progrès
Le grand mensonge de notre temps, c’est de nous faire croire que l’euthanasie est un choix personnel, un droit, une avancée, une émancipation.
La réalité est autrement plus sordide : c’est une solution de gestion des effectifs.
Une rationalisation comptable de la fin de vie, un mécanisme d’élimination précoce camouflé sous une rhétorique lénifiante.
Et la manœuvre la plus abjecte, celle qui ferait rougir de jalousie les faiseurs de loi les plus retors de l’Histoire, c’est ce besoin impérieux de mêler l’euthanasie aux soins palliatifs, de noyer la mise à mort dans la médecine du soulagement.
Ceux qui veulent à tout prix que le texte sur l’euthanasie soit fondu dans celui des soins palliatifs ne sont pas des humanistes. Ce sont des faussaires, des contorsionnistes du langage, des faiseurs de funestes mélanges. Car il ne peut y avoir deux démarches plus opposées que celles-là :
Les soins palliatifs accompagnent la vie jusqu’au bout.
L’euthanasie l’interrompt.
Ce n’est pas une question de curseur, de nuance, de subtil équilibre.
C’est un gouffre. D’un côté, on soutient. De l’autre, on supprime.
Alors pourquoi cette fusion artificielle, cet arrimage contre-nature ?
Parce que si l’on soumettait l’euthanasie à un vote distinct, elle serait combattue, disséquée, mise à nu, dévoilée pour ce qu’elle est : une exécution maquillée.
Ils le savent. Ils savent que seule, elle n’a aucune légitimité morale.
Ils savent que si l’on demande frontalement à la société :
« Voulez-vous que l’État puisse organiser légalement la mise à mort des malades ? »
Alors le doute s’installe, la conscience vacille, la réponse devient incertaine.
Mais si on embrouille le sujet, si on noie l’abomination dans un flot de mesures consensuelles sur l’accompagnement, alors on obtient ce que l’on veut sans débat véritable.
C’est ainsi que procèdent les régimes mous à l’âme dure : ils ne contraignent pas, ils suggèrent. Ils ne proclament pas, ils insinuent. Ils ne suppriment pas, ils réaménagent.
Regardez-les, ces notables au verbe visqueux, ces technocrates sentencieux, ces députés sous-doués de la conscience morale : ils prétendent promouvoir la « liberté », mais ils ont si peur de leur propre loi qu’ils la camouflent dans une autre !
Ils feignent d’offrir un choix, mais ils refusent qu’il soit posé clairement.
Si leur euthanasie était une si noble avancée, pourquoi ne pas la défendre à découvert, sans fard, sans amalgames ?
Pourquoi ce besoin maladif de l’arrimer à un texte sur les soins palliatifs ?
Parce qu’ils savent que, prise seule, elle pue la mort.
Ils savent que seule, elle révèle sa véritable nature : non pas un droit, mais une défaite morale. Non pas un progrès, mais un abandon.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit : un État qui ne sait plus quoi faire de ses mourants. Un État qui n’a plus ni la patience ni les moyens de s’en occuper dignement et qui, dans sa veulerie, préfère leur proposer une sortie de secours.
Le progrès, ce n’est pas l’injection létale.
Le progrès, c’est que plus aucun malade ne se sente un fardeau.
Le progrès, ce n’est pas une loi qui vous donne la permission de mourir, c’est une société qui fait tout pour que vous ne souhaitiez jamais en arriver là.
Ils prétendent que jamais l’euthanasie ne deviendra une alternative aux soins.
Mensonge.
Regardez l’Histoire.
Regardez comment les sociétés transforment leurs « droits » en obligations tacites.
Quand la logique d’élimination entre dans une société, elle s’insinue, elle s’étend, elle grignote les barrières, elle devient une norme implicite.
D’abord, on vous assure que c’est réservé aux cas extrêmes. Puis, on commence à l’élargir aux pathologies lourdes, mais supportables. Ensuite, on l’offre aux vieillards fatigués. Et un jour, un homme, valide mais usé, las d’exister, poussera la porte de l’administration pour demander la piqûre.
Et il l’obtiendra.
Et personne ne s’indignera.
Et alors, il ne s’agira plus de liberté. Il s’agira d’une simple formalité administrative.
Refuser la fusion des projets de loi, c’est refuser une société de la mort facile
Ceux qui militent pour que soins palliatifs et euthanasie soient fondus dans une même loi ne sont pas des humanistes. Ce sont des faussaires.
Ils savent que leur projet n’est pas moralement défendable, alors ils le maquillent, ils le noient dans un fatras de mesures acceptables.
Il faut refuser cette imposture.
Il faut exiger que l’on débatte de la mort comme de ce qu’elle est : une rupture fondamentale.
Il faut forcer ces imposteurs à assumer leur projet à nu.
À dire clairement qu’ils ne croient plus en la capacité de la société à accompagner ses mourants.
À dire clairement que leur vision du monde est celle d’un cimetière bien ordonné où l’on ne s’attarde pas.
La grandeur d’une civilisation ne se mesure pas à la facilité avec laquelle elle liquide ses mourants, mais à la patience avec laquelle elle les accompagne.
La vraie dignité, ce n’est pas de donner la mort à ceux qui souffrent, c’est de faire en sorte que plus jamais personne ne veuille mourir.
Et cela, aucune piqûre létale ne le permettra. Seule une société qui refuse d’abandonner ses plus vulnérables en est capable.
Alors, à ceux qui veulent voter cette fusion scélérate, ayez au moins la décence de dire la vérité.
Vous n’êtes pas les promoteurs de la dignité.
Vous êtes les fossoyeurs de la patience et du soin.
Pour ceux qui restent, pour ceux qui partent dignement, pour FX Balme
Il y a un an, le 14 février 2024, Me François-Xavier Balme, fermait les yeux, non pas emporté par l’angoisse ou précipité par la hâte, mais dans la plénitude de celui qui a été jusqu’au bout de son crépuscule.
Il n’a pas été « raccourci », il n’a pas été expédié. Il a été accompagné.
J’aurais pu vous parler de lui sous une forme abstraite, comme on évoque un exemple dans une tribune, une silhouette commode pour illustrer une thèse.
Ce serait trahir l’homme qu’il fut. Il n’était pas un argument, il était un être. Un ami. Un homme d’une rare finesse, dont l’âme, même affaiblie par la maladie, conservait ce feu intérieur qui fait les vivants véritables.
Quand la douleur le harassait, quand son corps devenait ce poids encombrant dont il ne savait plus quoi faire, l’idée de disparaître lui traversa l’esprit, bien sûr. L’idée que tout cela n’avait plus de sens. L’idée qu’il était un fardeau, une charge, un embarras pour ceux qu’il aimait et notamment son épouse.
Car c’est là la grande supercherie de notre époque : nous faire croire que la dignité se mesure à notre autonomie, que l’homme n’a de valeur que tant qu’il ne dépend de personne. Comme si l’existence ne tenait qu’à l’efficacité fonctionnelle, à l’utilité sociale, à la capacité d’être un rouage fluide dans la grande mécanique collective.
Mais il a tenu.
Parce que quelqu’un a tenu avec lui. Parce qu’on a traité la douleur, apaisé le supplice, fait en sorte qu’il puisse encore être lui, jusqu’au bout. Parce que, au lieu d’accélérer la fin, on lui a offert le temps.
Et ce temps, il l’a habité. Il l’a rempli, il l’a offert à ceux qu’il aimait. Il a écrit pour sa fille. Il lui a laissé un peu plus que son absence, un peu plus que la douleur d’un deuil trop précipité.
C’est cela, les soins palliatifs : le refus de l’abandon, le refus de la facilité du renoncement.
C’est le temps donné au mourant pour qu’il puisse encore être lui-même, pour qu’il ne parte pas en spectre mais en homme, sans souffrance et sans regret.
Ce que l’on nous propose aujourd’hui, sous les oripeaux du progrès, c’est exactement l’inverse. C’est l’euthanasie comme solution, non pas pour le malade, mais pour la société qui ne sait plus quoi faire des mourants. C’est la mise à mort précoce non pas pour alléger la souffrance, mais pour se débarrasser de l’inconfort de la finitude.
François-Xavier aurait pu être euthanasié. Il a même cru, dans un moment de détresse, que c’était la meilleure chose à faire. Mais il a été sauvé de cette tentation. Il a eu droit à ce que nous devrions tous exiger : une fin où l’homme reste homme, où il n’est pas réduit à un problème à résoudre, où il ne meurt pas prématurément par crainte de peser.
À ceux qui nous vendent aujourd’hui la suppression des mourants sous couvert de dignité, je réponds avec son histoire.
La dignité n’est pas dans l’effacement précipité, elle est dans l’accompagnement jusqu’au dernier souffle.
La dignité n’est pas dans la piqûre létale, elle est dans la main qui tient, dans la parole qui rassure, dans le temps qui reste.
François-Xavier est mort debout. Pas physiquement, bien sûr. Mais dans l’intégrité de ce qu’il était.
Et ce temps qu’on lui a offert, il l’a transformé en amour, en mots, en présence.
Il a quitté ce monde avec quelque chose de plus qu’une simple disparition : il a laissé une trace, parce qu’on lui a permis d’exister jusqu’au bout.
Que ceux qui veulent précipiter la mort entendent cela.
Ce qu’il nous faut, ce n’est pas une société qui fabrique la sortie de secours dès que l’agonie commence. Ce qu’il nous faut, c’est une société qui protège ses derniers instants comme un bien précieux, qui ne traite pas ses mourants comme des erreurs de script à corriger.
À toi, François-Xavier, qui as tenu jusqu’au bout, et qui m’as rappelé que l’homme ne se définit pas par ce qu’il produit, mais par ce qu’il transmet.
Mots clés : Soins palliatifs, Euthanasie, Francois-Xavier Balme, Fin de vie
Autant il est difficile pour les propriétaires d’animaux de compagnie d’appréhender la fin de vie de leur compagnon bien souvent par euthanasie, autant il semble indispensable pour certains d’envisager sans remords la fin de vie de leurs parents ou de leurs proches. Allez comprendre… //RO
Le débat sur la fin de vie est relancé en France, avec un projet de loi visant à légaliser l’euthanasie et le suicide assisté pour les personnes en situation de souffrance insupportable et en phase avancée d’une maladie incurable. Présenté comme une avancée sociale et humaniste, ce texte soulève pourtant des interrogations majeures, tant sur sa portée réelle que sur les risques de dérives qu’il pourrait entraîner.
Si la fin de vie est une question profondément intime et douloureuse, elle ne peut être abordée sans une réflexion rigoureuse sur les conséquences d’une telle législation, à la lumière des expériences étrangères et des précédents législatifs en France. Loin d’un simple choix individuel, la légalisation de l’aide active à mourir interroge la manière dont notre société considère ses membres les plus vulnérables et la valeur qu’elle accorde à la vie humaine.
Une loi présentée comme une avancée, mais aux contours flous
Le cadre législatif actuel, issu des lois Claeys-Leonetti (2005 et 2016), permet déjà aux patients en fin de vie de refuser l’acharnement thérapeutique et de bénéficier d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès. Ce dispositif a été conçu pour éviter les souffrances inutiles tout en préservant une éthique médicale fondée sur l’accompagnement plutôt que sur l’acte létal.
Le projet de loi en discussion va cependant plus loin. S’il se veut strict en réservant l’euthanasie aux patients atteints d’une maladie incurable en phase avancée, les expériences étrangères montrent que ce type de législation évolue rapidement vers une extension des critères. Aux Pays-Bas et en Belgique, l’aide active à mourir concerne désormais des patients souffrant de maladies chroniques, des personnes âgées fatiguées de vivre et même des mineurs dans certains cas. Au Canada, la loi, initialement limitée aux patients en fin de vie, a été élargie aux personnes handicapées et pourrait prochainement inclure les troubles psychiatriques.
La question qui se pose est donc la suivante : comment garantir que ce qui est présenté comme une mesure exceptionnelle ne devienne pas, à terme, une norme sociale et médicale ?
Le risque d’une logique comptable et sociale
Derrière l’argument de la liberté individuelle, un autre enjeu se dessine : celui du coût de la prise en charge des patients en fin de vie. Aujourd’hui, les soins palliatifs restent largement sous-financés et inégalement répartis sur le territoire. L’accès à une prise en charge de qualité est souvent un parcours du combattant, et de nombreux patients et familles se retrouvent démunis face à une médecine parfois trop technique et déshumanisée.
Dans ce contexte, la légalisation de l’euthanasie pourrait, à terme, devenir une solution de facilité face à des prises en charge complexes et coûteuses. C’est ce que dénoncent de nombreux professionnels de santé et militants, en rappelant que dans les pays où l’aide active à mourir est légale, elle est parfois présentée comme une alternative économique aux soins palliatifs, faute de moyens suffisants.
Un autre danger est celui d’une pression sociale sur les personnes vulnérables. La philosophe américaine Margaret Battin, qui militait pour le suicide assisté, a reconnu après ses travaux que dans un monde idéal, cette pratique pourrait être un droit sans conséquence. Mais dans la réalité, une personne âgée, malade ou dépendante peut se sentir coupable d’être une charge pour ses proches et pour la société, et être incitée, parfois subtilement, à « faire le bon choix ».
Si l’on considère également le vieillissement de la population et la crise des retraites, il est légitime de s’interroger sur la place que cette loi pourrait prendre dans la gestion économique des personnes jugées improductives et coûteuses. L’histoire montre que ce type de législation, lorsqu’il est adopté dans un contexte d’austérité et de rationalisation des dépenses publiques, peut facilement dériver vers une forme de sélection des vies jugées « dignes » ou non d’être vécues.
L’alternative : garantir un accès digne aux soins palliatifs
Le véritable scandale en matière de fin de vie en France n’est pas l’interdiction de l’euthanasie, mais l’insuffisance criante des soins palliatifs. Aujourd’hui, environ 26 départements n’ont aucune unité de soins palliatifs, et la majorité des structures existantes manquent de personnel et de financements. Pourtant, toutes les études montrent que lorsque ces soins sont accessibles et bien dispensés, plus de 99 % des patients en fin de vie ne demandent pas à mourir.
La priorité devrait donc être de renforcer :
✔ La formation des soignants pour mieux prendre en charge la douleur et l’accompagnement des patients.
✔ L’accessibilité des soins palliatifs sur tout le territoire, pour éviter les inégalités.
✔ L’information du public et des professionnels de santé, car de nombreuses familles ignorent l’existence des dispositifs existants.
Avant d’ouvrir la porte à l’euthanasie, il serait plus urgent d’améliorer la prise en charge des patients pour qu’ils ne se retrouvent pas dans des situations de détresse extrême qui les poussent à envisager cette issue.
Conclusion : une décision à prendre avec la plus grande prudence
La question de la fin de vie ne peut se résumer à un affrontement idéologique entre « pro » et « anti » euthanasie. Elle touche à des enjeux médicaux, éthiques, sociaux et économiques qui nécessitent une réflexion approfondie.
Pour ma part, j’ai déjà informé mes proches que je refuse tout acharnement thérapeutique et que je souhaite une fin de vie réfléchie et volontaire, dans la mesure du possible. Mais je refuse aussi que l’on glisse vers une société où la solution à la souffrance serait de supprimer ceux qui souffrent, plutôt que de les accompagner.
Si cette loi doit être adoptée, elle doit l’être avec des garanties strictes et intangibles, afin d’éviter qu’elle ne devienne, comme d’autres législations avant elle, un moyen détourné de se débarrasser des plus vulnérables sous couvert de liberté individuelle.
Il ne faudrait pas qu’à force de vouloir bien faire, on se retrouve avec une véritable usine à gaz, où la complexité administrative et les dérives médicales rendraient la frontière entre accompagnement et élimination toujours plus floue.
La dignité d’une société se mesure à la manière dont elle traite ses plus faibles. Plutôt que d’accélérer la mort, commençons par leur assurer une vie digne jusqu’au bout.
Mots clés : Fin de vie – Loi – Euthanasie – Suicide assisté – Eugénisme – Soins palliatifs