Régis Ollivier – Le 10 février 2025
Autant il est difficile pour les propriétaires d’animaux de compagnie d’appréhender la fin de vie de leur compagnon bien souvent par euthanasie, autant il semble indispensable pour certains d’envisager sans remords la fin de vie de leurs parents ou de leurs proches. Allez comprendre… //RO
Le débat sur la fin de vie est relancé en France, avec un projet de loi visant à légaliser l’euthanasie et le suicide assisté pour les personnes en situation de souffrance insupportable et en phase avancée d’une maladie incurable. Présenté comme une avancée sociale et humaniste, ce texte soulève pourtant des interrogations majeures, tant sur sa portée réelle que sur les risques de dérives qu’il pourrait entraîner.
Si la fin de vie est une question profondément intime et douloureuse, elle ne peut être abordée sans une réflexion rigoureuse sur les conséquences d’une telle législation, à la lumière des expériences étrangères et des précédents législatifs en France. Loin d’un simple choix individuel, la légalisation de l’aide active à mourir interroge la manière dont notre société considère ses membres les plus vulnérables et la valeur qu’elle accorde à la vie humaine.
Une loi présentée comme une avancée, mais aux contours flous
Le cadre législatif actuel, issu des lois Claeys-Leonetti (2005 et 2016), permet déjà aux patients en fin de vie de refuser l’acharnement thérapeutique et de bénéficier d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès. Ce dispositif a été conçu pour éviter les souffrances inutiles tout en préservant une éthique médicale fondée sur l’accompagnement plutôt que sur l’acte létal.
Le projet de loi en discussion va cependant plus loin. S’il se veut strict en réservant l’euthanasie aux patients atteints d’une maladie incurable en phase avancée, les expériences étrangères montrent que ce type de législation évolue rapidement vers une extension des critères. Aux Pays-Bas et en Belgique, l’aide active à mourir concerne désormais des patients souffrant de maladies chroniques, des personnes âgées fatiguées de vivre et même des mineurs dans certains cas. Au Canada, la loi, initialement limitée aux patients en fin de vie, a été élargie aux personnes handicapées et pourrait prochainement inclure les troubles psychiatriques.
La question qui se pose est donc la suivante : comment garantir que ce qui est présenté comme une mesure exceptionnelle ne devienne pas, à terme, une norme sociale et médicale ?
Le risque d’une logique comptable et sociale
Derrière l’argument de la liberté individuelle, un autre enjeu se dessine : celui du coût de la prise en charge des patients en fin de vie. Aujourd’hui, les soins palliatifs restent largement sous-financés et inégalement répartis sur le territoire. L’accès à une prise en charge de qualité est souvent un parcours du combattant, et de nombreux patients et familles se retrouvent démunis face à une médecine parfois trop technique et déshumanisée.
Dans ce contexte, la légalisation de l’euthanasie pourrait, à terme, devenir une solution de facilité face à des prises en charge complexes et coûteuses. C’est ce que dénoncent de nombreux professionnels de santé et militants, en rappelant que dans les pays où l’aide active à mourir est légale, elle est parfois présentée comme une alternative économique aux soins palliatifs, faute de moyens suffisants.
Un autre danger est celui d’une pression sociale sur les personnes vulnérables. La philosophe américaine Margaret Battin, qui militait pour le suicide assisté, a reconnu après ses travaux que dans un monde idéal, cette pratique pourrait être un droit sans conséquence. Mais dans la réalité, une personne âgée, malade ou dépendante peut se sentir coupable d’être une charge pour ses proches et pour la société, et être incitée, parfois subtilement, à « faire le bon choix ».
Si l’on considère également le vieillissement de la population et la crise des retraites, il est légitime de s’interroger sur la place que cette loi pourrait prendre dans la gestion économique des personnes jugées improductives et coûteuses. L’histoire montre que ce type de législation, lorsqu’il est adopté dans un contexte d’austérité et de rationalisation des dépenses publiques, peut facilement dériver vers une forme de sélection des vies jugées « dignes » ou non d’être vécues.
L’alternative : garantir un accès digne aux soins palliatifs
Le véritable scandale en matière de fin de vie en France n’est pas l’interdiction de l’euthanasie, mais l’insuffisance criante des soins palliatifs. Aujourd’hui, environ 26 départements n’ont aucune unité de soins palliatifs, et la majorité des structures existantes manquent de personnel et de financements. Pourtant, toutes les études montrent que lorsque ces soins sont accessibles et bien dispensés, plus de 99 % des patients en fin de vie ne demandent pas à mourir.
La priorité devrait donc être de renforcer :
✔ La formation des soignants pour mieux prendre en charge la douleur et l’accompagnement des patients.
✔ L’accessibilité des soins palliatifs sur tout le territoire, pour éviter les inégalités.
✔ L’information du public et des professionnels de santé, car de nombreuses familles ignorent l’existence des dispositifs existants.
Avant d’ouvrir la porte à l’euthanasie, il serait plus urgent d’améliorer la prise en charge des patients pour qu’ils ne se retrouvent pas dans des situations de détresse extrême qui les poussent à envisager cette issue.
Conclusion : une décision à prendre avec la plus grande prudence
La question de la fin de vie ne peut se résumer à un affrontement idéologique entre « pro » et « anti » euthanasie. Elle touche à des enjeux médicaux, éthiques, sociaux et économiques qui nécessitent une réflexion approfondie.
Pour ma part, j’ai déjà informé mes proches que je refuse tout acharnement thérapeutique et que je souhaite une fin de vie réfléchie et volontaire, dans la mesure du possible. Mais je refuse aussi que l’on glisse vers une société où la solution à la souffrance serait de supprimer ceux qui souffrent, plutôt que de les accompagner.
Si cette loi doit être adoptée, elle doit l’être avec des garanties strictes et intangibles, afin d’éviter qu’elle ne devienne, comme d’autres législations avant elle, un moyen détourné de se débarrasser des plus vulnérables sous couvert de liberté individuelle.
Il ne faudrait pas qu’à force de vouloir bien faire, on se retrouve avec une véritable usine à gaz, où la complexité administrative et les dérives médicales rendraient la frontière entre accompagnement et élimination toujours plus floue.
La dignité d’une société se mesure à la manière dont elle traite ses plus faibles. Plutôt que d’accélérer la mort, commençons par leur assurer une vie digne jusqu’au bout.
Mots clés : Fin de vie – Loi – Euthanasie – Suicide assisté – Eugénisme – Soins palliatifs